La Révolution inspire la dynamique des événements et certains personnages, mais il ne s’agit pas de reconstituer 1789. C’est un cadre qui sert à l’observation de conflits humains, qui permet de montrer la lutte politique, l’engagement de tous les membres de la société, l’effort et l’effervescence de ce moment d’invention de la politique telle que nous la connaissons encore aujourd’hui.
Pour entrer dans la complexité humaine de ce moment politique, les personnages incarnent une variété de positionnements dans différents groupes : le roi et son entourage, les députés, les parisiens. La conflictualité est le moteur de l’intrigue. Elle existe à tous les niveaux, entre ces différents groupes, entre les membres de chaque groupe et en chaque individu. Il y a des lignes de fractures collectives et des nuances individuelles, des revirements, des prises de conscience.
Les comédiens incarnent tous plusieurs individus, certains ont en charge des personnages tout à fait opposés, avec des points de vue divergents ou contradictoires, ce qui leur donne une connaissance intime de la complexité et des nuances que le spectacle cherche à représenter.
Louis est une énigme autour de laquelle gravitent tous les personnages qui s’interrogent sur ses intentions, cherchent à les orienter ou simplement à les interpréter. C’est le seul personnage historique nommé. Mais le héros de cette pièce, c’est l’imaginaire politique, les idées. Pour faire vraiment réentendre ces discours, il me semble qu’il fallait se débarrasser de la rhétorique et de l’apparence des révolutionnaires, retrouver une certaine innocence du regard. Par exemple, à l’époque Robespierre n’est pas Robespierre, mais Monsieur Dupont.
Le spectateur est placé dans un état de découverte des événements, comme s’il était lui-même contemporain de ce qui se déroule sous ses yeux. Les personnages sont des anonymes dont il ne sait rien à l’avance. Le dispositif du spectacle est immersif mais non participatif.
Dans Ça ira (1) le public devient une partie de l’assemblée, c’est pour lui donner à sentir l’énergie du débat, l’inconfort aussi de ces prises de paroles parfois cacophoniques… L’espace de la fiction et l’espace des spectateurs fusionnent.
L’écriture est portée par deux tentatives apparemment contradictoires : présenter les événements tels qu’ils se sont passés en respectant les grandes étapes du début de la Révolution, et les présenter comme s’ils se passaient maintenant. Le spectacle invente en quelque sorte un nouveau temps : le passé-présent. Rendre le passé présent n’est pas tout à fait la même chose qu’actualiser, c’est mettre le spectateur dans le temps présent de l’événement passé. Le spectacle ne construit pas de clins d’œil ou d’analogies avec l’époque actuelle, même si je suis évidemment conscient des nombreux échos possibles entre hier et aujourd’hui.
Son entre-deux temporel en fait pour moi une forme de réminiscence : c’est une création mentale qui vient se superposer à la fois à un souvenir passé, à nos représentations ou connaissances du passé, et à une expérience du présent, au contexte politique dans lequel nous vivons.
Joël Pommerat
Entretien avec Marion Boudier, septembre 2015