Nous sommes tous interrogatifs sur le sujet de l’intelligence, sujet aussi mystérieux que la beauté. « À quoi pensent les gens intelligents? » se demande Charlie lorsqu’il apprend qu’il va sans doute le devenir au-delà de toute espérance. Mais c’est ici un jeu à qui perd gagne. L’intelligence apporte la lucidité qui elle-même apporte la souffrance. Elle est une qualité fascinante, symbole de pouvoir. Mais la capacité de compassion qui différencie l’homme de l’animal est-elle au rendez-vous de ce QI qui dépasse maintenant 200? Le personnage de Charlie, pathétique et fondant, n’est pas extérieur à nous. Comme dans les contes, il s’insinue dans tous les replis de notre imagination. La trajectoire de toute une vie, courbe ascendante et descendante, nous est racontée dans cette pièce. Elle nous plonge dans une société (la nôtre aujourd’hui, celle de demain?) où l’on peut priver quelqu’un de son libre arbitre et lui faire subir une expérience envoûtante et horrible pour le bénéfice de la science. Et l’éthique dans tout ça ?
L’autre élément essentiel à mon bonheur de mettre en scène Des fleurs Pour Algernon est de diriger Grégory Gadebois. C’est un grand. Il est à la fois un simple et un seigneur. Il est une multitude dont on se sent pourtant si proche. C’est un jeune acteur et déjà puits de science sur son métier car il sait écouter et qu’il a retenu tout ce qu’il a entendu. Il est complexe, délicat et aussi fort que le texte. Pour paraphraser Térence « Rien de ce qui est humain ne lui est étranger ».
Cette nouvelle culte écrite en 1962 par Daniel Keyes a donné lieu à de nombreuses créations dont un film oscarisé. Elle est aujourd’hui portée au théâtre grâce à l’adaptation de Gérald Sibleyras dans un monologue où l’émotion, le rire sont teintés d’effroi. Des fleurs pour Algernon est une histoire fabuleuse et prémonitoire.
Anne Kessler