Avec Contes et légendes, Joël Pommerat poursuit son observation des valeurs et des identités contemporaines en se tournant vers le futur et ce moment particulier qu’est l’adolescence. Alors que son précédent spectacle, Ça ira (1) Fin de Louis (2015), réactivait le passé révolutionnaire à travers une épopée immergeant le public dans des débats politiques, Contes et légendes revient à une forme de théâtre intime pour explorer une série d’interactions sociales, familiales ou affectives entre des adolescents, des adultes et des robots androïdes intégrés à leur quotidien.
Comme on fait des expériences en laboratoire, avec le plus de concret et de précision possible, Joël Pommerat questionne nos représentations de nous-mêmes et observe ce que ces êtres artificiels pourraient révéler ou modifier dans nos relations et constructions humaines. Déjà présente dans sa réécriture de Pinocchio (2008), pantin adolescent rebelle lancé sur le chemin de l’humanité, lointain cousin de Galatée animée par l’amour de son créateur dans les Métamorphoses d’Ovide, cette question de l’identité prend dans Contes et légendes une couleur plus troublante encore, qui n’est pas sans rappeler également certaines scènes de Cet enfant (2006) ou de La Réunification des deux Corées (2012). Différents régimes de présence et de vérité se mêlent sur scène pour confronter le spectateur à la complexité de nos émotions, à l’ambiguïté de notions telles l’authenticité ou le mensonge et à la violence persistante de certaines normes sociales.
Sans tenir de discours sur les progrès ou les dangers de l’intelligence artificielle ni céder au sensationnalisme de la SF, Contes et légendes donne à éprouver ces nouveaux troubles dans le genre à travers une mosaïque d’instants sensibles et drôles. Dans l’enchantement du théâtre, adolescents en crise et androïdes invitent à toutes les simulations et reconfigurations possibles. Traitant la fiction d’anticipation comme un fait réel et documentaire, Joël Pommerat renouvelle une fois encore cette inquiétante étrangeté teintée de philosophie qui fait la singularité de son théâtre depuis plus de 25 ans.
Marion Boudier